
Notre société traverse une crise désastreuse. Le Sénégal, jadis connu pour son climat sociopolitique cordial et apaisé, sombre désormais dans une hystérie collective d’une « confusion foisonnante et bourdonnante ». Telle une boite de Pandore qu’on aurait ouvert, une situation d’extrême volatilité et propice à toutes les dérives se déploie à l’échelle nationale. Dans ce vaste bazar qu’est devenu notre pays, le fondamentalisme partisan et son catéchisme sauvage provoquent des passions et émotions s’apparentant désormais à de burlesques cultes vaudous plutôt qu’à des mouvements politiques rationnels.
Manifestement, notre arène politique se trouve dans un état de décrépitude avancée symbolisée par un régime à la ramasse, parasité par des « cinglés en coulisse », camorra de parvenus et Machiavels tropicaux dont la suprême arrogance et son ostentation tapageuse occultent une incompétence insurmontable. Une opposition excentrique où pullulent pompiers-pyromanes et apprentis sorciers, dont la rhétorique kitsch, le militantisme agressif et le culte du parano rivalisent avec une conception abstraite de la politique et une inlassable comptine de formules chocs complètement débiles et déconnectées de la réalité. Jamais dans l’histoire de notre chère nation, classe politique n’avait été autant médiocre. Triste spectacle !
En outre, une société civile sans idées à l’activisme douteux et brouillon balisant le chemin d’une quête en pure perte de respectabilité. Une nébuleuse médiatique à l’information creuse et tendancieuse, rattrapée par sa comateuse inculture, folklorisant à outrance un espace audiovisuel désormais dominé par la bêtise, la vulgarité, les distractions et informations insignifiantes. Indubitablement, les débats « passionnés » sur les plateaux télés ressemblent ironiquement à des perroquets grouillant sur des arbres. Dans ces talkshows, il est fréquent de voir une ribambelle de forcenés affronter un ramassis d’écervelés dans un langage de charretier et sous un déluge d’absurdités, de mensonges, de diffamations et d’insultes. Dans ce capharnaüm médiatique, un intellectualisme poussif et un journalisme de racolage ont également engendré d’étranges humanoïdes abusivement appelés « chroniqueurs », spécialistes de la «pensée-contre» et enfants gâtés de la presse, adeptes des analyses politiques étourdissantes et des raccourcis caricaturaux défiant tout bon sens.
Sur la toile où se mène une ténébreuse guerre de propagande, télévangélistes et démagogues ordinaires manipulent les esprits et incitent à la haine dans une dramatique impunité. Durant leurs homélies où il est impossible de distinguer autosuggestion et possession diabolique, cette race de dégénérés, dotée d’une aisance quasi démoniaque à manier les contrevérités, moulins à rumeurs et machines à trolls, profite de la servilité navrante et de l’instinct grégaire d’une jeunesse souffrant en majorité de « malnutrition intellectuelle » sévère. Le royaume des ombres est le paradis des esprits à chimères disait Kant.
En vérité, l’hyper politisation de l’espace public et la sorcellerie intellectuelle de certains politiciens véreux font qu’une nouvelle forme de religion s’est dangereusement emparé de la jeunesse, frôlant l’idolâtrie et le culte des cheerleaders. Cet enfumage psychologique, conditionnement d’un esprit moutonnier, transforme malheureusement
les jeunes en de véritables kamikazes plutôt qu’à des sympathisants politiques. Le ver est dans le fruit et ne cesse de le pourrir.
Vraiment, le Sénégal est pris en otage par un panier de gens déplorables. Mais ce qui est sidérant dans cette affaire, c’est que toute cette folie furieuse n’ait suscité aucune bronca, aucun tollé parmi la grande majorité de notre intelligentsia. Sincèrement, cette attitude silencieuse, proche du non-sens, face à cette page sombre de notre histoire est une mortelle bêtise. Il est absolument clair qu’il n’existe pas d’activité humaine dont on puisse exclure tout à fait l’intervention intellectuelle. La fuite en avant de nos intellectuels est une malheureuse abdication. Mais se morfondre dans le silence devient un péché lorsqu’il prend la place qui revient à la protestation et, d’un homme, il fait un lâche disait le président Abraham Lincoln. Tolérer les intolérants est un exercice dangereux.
En outre, on entend souvent que la véritable force d’une nation réside dans le fait qu’aucun envahisseur ne puisse trouver sur son sol un collaborateur. Vraisemblablement, un pays fait son histoire mais subit sa géographie disait Bismarck. Il est indéniable que le Sénégal constitue un îlot de stabilité dans un océan sahélien de chaos. De plus, l’odeur de fuel qui y empeste provoque une sorte de feeding frenzy d’une secte de ninjas encagoulés cherchant sa déstabilisation afin de piller ses ressources. Il est donc dangereux de laisser libre cours à une source aussi féconde de désordres.
Si l’ordre et la stabilité sont le fondement de tout progrès, l’application de la puissance et de la loi doit être implacable afin d’atteindre ces objectifs. Pour Paul Valéry, si l’État est faible, nous périssons. De ce fait, le doute et la recherche d’une sagesse conventionnelle deviennent obsolètes lorsque le danger guette la nation, la force et le consentement étant les deux fondements des Etats modernes. Aux grands maux, les grands remèdes, la raison d’Etat ignorant les bons sentiments. C’est une question de sécurité nationale !
Aliou Diop, département science politique, Université Laval, Québec